mardi 2 juin 2009

L’avion présidentiel : pour que l’Etat reste grand




Pauvre, le Bénin l’est. C’est admissible. Mais ce qui l’est moins, c’est que certains de ses symboles, surtout quand ils touchent à la souveraineté nationale, le soient aussi. Le Bénin, après 49 ans d’indépendance, vient d’acquérir un avion présidentiel. C’est un événement qui mérite que l’on s’y arrête. Même si nous savons que, par ces temps de crise, ce n’est pas la tasse de thé du commun des Béninois.

Il reste que, de savoir que le Président de la République dispose désormais d’un avion, ne peut nous laisser indifférent. Cela nous change de la pratique de « l’avion stop » ou des locations hasardeuses d’aéronefs à problèmes. De vrais cercueils volants, dont un spécimen, le mois dernier, a été affrété pour amener le Président en visite d’Etat en Turquie du 8 au 11 avril 2009, puis en Iran du 12 au 14 avril.

Le cercueil volant n’a pas quitté l’aéroport Cardinal Bernardin Gantin de Cotonou, avant qu’une panne mécanique ne fût détectée : une forte odeur de fumée a envahi l’intérieur de l’avion. Conséquence : les deux visites d’Etat programmées furent annulées. « Dieu, ce jour-là, selon une expression en fongbé, ne dormait pas ». Grâce à quoi le pire a pu être évité.

Et c’est parce que nous avons ainsi bien compris les choses que le Bénin, 49 ans après son accession à l’indépendance, a réussi à se doter d’un avion présidentiel. Il s’agit d’un Boeing 727 modulable selon les besoins. Le Chef de l’Etat pourra désormais aller aux quatre coins du monde de manière autonome. Sans devoir recourir à des expédients plutôt problématiques et pleins de risques ; sans solliciter la faveur d’autres homologues mieux lotis ; sans s’en remettre au bon vouloir d’obscures compagnies aériennes plus attirés par l’odeur du fric que par celle du kérosène.

Pourquoi estimons-nous important, quoique lourd pour nos finances, de nous engager à doter la République d’un avion présidentiel ? Parce qu’il existe ce que les spécialistes appellent des dépenses de souveraineté. Celles-ci, en certains domaines, engagent notre responsabilité d’Etat souverain et plaident pour notre autosuffisance pleine et entière. Au cas où, en ces domaines, on serait incapable d’assurer et d’assumer, autant refuser d’aller à l’indépendance, autant rester une sorte de Mayotte du Golfe de Guinée. La simplification, ici, aboutit à la seule et même conclusion : tout étant encore urgent et prioritaire au Bénin, un avion présidentiel, qui confine à la folie des grandeurs pour un pays pauvre, peut toujours attendre. Réaffirmons quelques principes qui participent, chez nous, d’une conviction.

- Premièrement. Le Bénin est pauvre. Soit. Mais nous devons veiller à faire en sorte que l’Etat soit et reste grand. L’Etat est un symbole fort. C’est la représentation de ce qui nous unit. C’est le signe de ce qui développe chez nous la conscience d’être, bien que différents, des frères et des sœurs rassemblés sous une seule et même bannière, animés de la volonté de vivre en commun, sur cette portion de terre appelée le Bénin.

Dans une telle vision, un avion présidentiel, est plus qu’un simple moyen de transport mis à la disposition du premier d’entre nous. Il est la projection d’un ensemble de sentiments. Comme celui d’être prêt à donner sa vie pour son pays, en défendant, partout où besoin sera, son drapeau. Comme la fierté qu’on éprouve sur un stade de football quand le maillot de l’équipe nationale est honoré. Comme la joie que l’on ressent, en retrouvant, loin de la mère patrie, un frère, une sœur avec qui nous partageons ce patrimoine national invisible mais auquel nous nous identifions. Ces choses là ne s’expliquent pas !

- Deuxièmement. L’avion présidentiel, c’est l’outil de travail attaché à la personne du Chef de l’Etat, du Chef du gouvernement, du Président de la République. Ce n’est pas seulement dans l’esprit et dans la lettre de la Constitution que cet homme, cette femme appelé(e) à d’aussi éminentes fonctions doit être grand. L’avion qui le porte vers le monde et vers les autres et frappé comme tel des armoiries de l’Etat béninois, doit être en parfaite adéquation avec l’image que le législateur a voulu que l’on ait et que l’on garde de lui ou d’elle à travers la Constitution.

- Troisièmement. C’est de grandeur qu’il s’agit, en définitive. La grandeur comme idée, comme pensée. Parce que nous sommes là où nous sommes à cause de nos pensées. Nous sommes, en effet, ce que nous pensons. Car c’est seulement en pensant grand qu’on peut réaliser grand. Et c’est parce qu’il en est ainsi qu’il faut sortir l’Etat de l’informel. Le sortir, par exemple, des faux bâtiments, situés dans de faux quartiers où l’Etat locataire, plus soucieux de faire l’affaire des copains et des coquins en affaires, trouve souvent à loger ses services. L’avion présidentiel nous donne et nous montre l’exemple à suivre. Mesdames et messieurs, attachez vos ceintures et bon voyage !

Jérôme Carlos La chronique du jour du 28 mai 2009

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